← Journal

être vu personal/2022/etre-vu

Une femme a un jour écrit une lettre à sa mère, après avoir vu Le Miroir de Tarkovski :

« Combien de mots connaît une personne ? Et combien en utilise-t-elle dans son langage courant ? Un tiers ? Un centième ? Nous habillons nos sentiments de mots, nous essayons d’exprimer avec eux le malheur, la joie, l’émotion, et tout ce qui est au fond inexprimable. Roméo disait à Juliette des mots merveilleux, choisis, expressifs, mais traduisaient-ils seulement la moitié de ce pour quoi son cœur était prêt à éclater, de ce qui lui coupait le souffle, et ce qui amena Juliette à tout oublier en dehors de cet amour ? »1

Si je ne suis vu que partiellement, à travers les mots de mes articles ou des reviews, ces outils incomplets ne feront passer que des idées superficielles. Peut-être ne parviendrai-je pas à faire passer la beauté que j’ai perçue et qui a éveillé cette passion profonde m’animant jusqu’à écrire. Si l’on ne voit que des idées de forme, des effets de style, alors le résultat sera peut-être embarrassant, prétentieux ou tristement inintéressant. Ce que je veux, c’est être regardé vraiment. Alors je lance ces outils à la mer : ce qui m’a marqué dans un film, quel café m’a plu, ce dont je me souviens de mon enfance ; en espérant peindre une image de moi qui touchera quelqu’un et l’amènera à m’aimer.

C’est Tarkovski lui-même, ayant exploré le thème de la mémoire dans son œuvre, qui estime :

« Si quelqu’un, par exemple, racontait ses souvenirs d’enfance, nous aurions avec certitude entre nos mains assez de matière pour nous forger de cette personne une impression complète. »

C’est pour cela que j’ai tenté de produire un récit de ma vie. Un récit à prendre avec des pincettes parce que la mémoire peut me faire défaut ; parce que je pourrais ne pas être intéressé par tous les domaines de mon passé ; parce que ma perception d’un fait peut évoluer avec le temps ; parce qu’il n’est pas toujours facile de regarder les événements en face. C’était un support pour m’aider à progresser sur tous ces points. J’ai pu observer, comme beaucoup d’autres avant moi, que c’est en commençant à écrire que l’on se permet de réfléchir. Je développe mon site web comme une plateforme m’offrant les outils dont j’ai besoin pour améliorer mes capacités d’expression et d’introspection, et ce journal fait partie de ces expérimentations.

Je n’écris pas pour me juger ou pour transmettre un message. Réduire mon approche à cela m’empêcherait de me regarder vraiment et de créer une réflexion. J’écris avec l’espoir que l’on trouve ce qu’on est préparé à donner.

Notes

  1. Andreï Tarkovski, Le temps scellé (978-2848763842), Philippe Rey, page 21